Ma démarche artistique se nourrit d’une cinquantaine d’années d’apprentissage et de travail rigoureux.
Au fil de ces années j’ai appris l’histoire de l’écriture, l’évolution de la calligraphie, l’identité de chaque style, ses règles, ses réformes, ses influences, de sa naissance jusqu'à nos jours.
Je suis né dans l’Algérie profonde, dans la région de Souk-Ahras, ville natale de Saint-Augustin. J’ai pu fréquenter l’école coranique dès ma petite enfance et découvrir le calame, le samaq « encre » et la tablette que j’enluminais fièrement à la fin de chaque sourate apprise par cœur.
Un peu plus tard, petit élève sur les bancs de l’école, j’étais fasciné par la belle écriture de mes professeurs. Ils venaient de cet orient lointain et rêvé, d’Iraq, de Syrie, d’Egypte… Ces professeurs que j’essayais d’imiter, leurs gestes me faisant voyager.
Après mes études, devenu instituteur, j’ai enseigné l’arabe à mon tour pendant plusieurs années, dans cette même région.
J’ai réalisé des banderoles pour des événements culturels ou sportifs, écris sur des devantures, vitrines de magasins, réalisé des panneaux pour la mairie, et participé modestement au premier festival des arts plastiques à Souk-Ahras en 1980
J’ai également eu la chance de passer deux ans avec des maitres calligraphes-sculpteurs à réaliser des œuvres monumentales pour la mosquée-université Emir Abdelkader à Constantine, durant mon service national. J’ai appris à calligraphier et ciseler les lettres en bas relief avec ces magiciens de l’écriture qui venaient d’Egypte.
Je suis ensuite venu m’expatrier en France au début des années 80. Installé en région parisienne, j’ai appris la colorimétrie dont j’ai fait mon métier pendant plus de trente ans, tout en continuant à réaliser des calligraphies.
Imprégné par cette double culture, je réalise mes calligraphies depuis des décennies en transmettant des messages riches de sagesse de poètes anonymes ou de grands philosophes en m’appuyant sur deux cercles bien acquis : celui d’Ibn Moqla et celui de Munsell, le premier mesure les lettres de l’alphabet, quand au second il est mesuré par des L.a.b.. Cela me donne une grande facilité à combiner mes compositions…
Abdelkrim BENBELKACEM
Les étoiles de la sagesse brillent dans la profondeur de l’encre
Cette citation d’Al-Mamoun, calife du 9è.siecle est l’essence même de mon travail.
Ma démarche artistique qui est loin d’être académique s’inscrit dans un cadre culturel riche de la diversité des messages de paix, d’amour et de rêve, dont les auteurs de tous horizons nous enseignent des leçons d’humilité, de sagesse et de bon sens.
A mon tour, j’essaie de transmettre ces messages au travers de la calligraphie arabe, c’est pour moi un point de liaison entre l’orient et l’occident, entre les hommes d’hier et d’aujourd’hui, sans tenir compte des frontières, du temps ou de l’espace, c’est un hommage à histoire et un appel au renouveau.
La calligraphie arabe repose sur des règles strictes, elle est sans cesse réinventée, les différents styles d’écriture témoignent de l’évolution de cet art ancestral qui ne cesse de fasciner, au fil des siècles, la créativité de chaque calligraphe l’enrichit davantage.
La calligraphie arabe que je réalise est une géométrie vivante, c’est une poésie du regard et musique silencieuse, c’est une danse de la pensée et une invitation au voyage et à la réflexion morale dont la destination reste l’amour, le rêve, la liberté, la paix ou la sagesse pour mettre en valeur l’humain au sens universel.
Ce trésor inestimable qui est la calligraphie arabe, cet art millénaire auquel je voue une véritable admiration, devient pour moi au fil du temps une source de méditation et un vecteur d’apaisement, il reste pour moi un lien universel entre les hommes.
Je ne serais pas le premier à provoquer la tradition ou la calligraphie arabe est réalisée généralement à l’encre noire ou brune, le fait d’introduire des couleurs chatoyantes lui donne une autre dimension de gaité…l’explosion des couleurs vives, harmonieuses ou contradictoires, tendres ou éblouissantes la rend encore plus attrayante, le bonheur du regard réside aussi dans la lecture du rêve...et du voyage mystérieux.
Les touches personnelles qui caractérisent mon travail ne nuisent en rien aux règles géométriques ni aux codes de la calligraphie arabe que j’applique strictement dans toutes mes œuvres.
Lorsqu’un poème me parle, une citation m’interpelle, ou le souffle d’une sage pensée me traverse, j’en saisis quelques vers, ou un mot clé de la citation qui sera le socle de ma calligraphie, la fondation sur laquelle je construis mon œuvre, une ébauche se fige dans ma tète et l’image est lancée, elle prend forme, il faut maintenant la transposer sur la toile, réaliser ce paysage écrit ou les mots me font voyager à l’infini au travers des siècles, des tempêtes, et des contrées lointaines.
Je fais en sorte que les lettres rigides s’assouplissent, se touchent et se chevauchent, se caressent, s’entrelacent et vibrent en douceur dans une élégance coordonnée, que les caractères s’envolent dans une esthétique légère et harmonieuse, ou parfois contrastée, que les mots peints font parler la matière et de leur ventre jaillit la lumière.
Fixer une expression, ou redonner vie à une poésie me procure une sensation de bonheur et de paix intérieure.
Le calame, cet instrument magique avec lequel je dialogue, je le façonne moi-même dans des roseaux de tailles différentes. Ce simple végétal nous a transmis l’histoire de l’humanité, et perpétue l’écho des temps lointains, il est mon complice et le prolongement de ma main avec lequel je fixe ma chorégraphie imaginaire,
Dans un renouveau provocateur, et surtout dans le respect absolu des codes et des règles qui ont traversé les siècles, je réalise mes calligraphies sur des toiles, des panneaux de bois, ou sur du papier, je choisis l’aspect et la rugosité en fonction du résultat que je veux obtenir, je prépare aussi mes propres peintures et les outils que je fabrique moi-même.
Abdelkrim BENBELKACEM